Défenseurs et MVP : ces rois sans couronne

Alan PAGE et Lawrence TAYLOR, les deux seuls défenseurs MVP de l'histoire
Alan PAGE et Lawrence TAYLOR, les deux seuls défenseurs MVP de l'histoire
le 28/11/2014 à 00:03 par Tili

Depuis trois ans, à force de performances toutes plus remarquées les unes que les autres, J.J. WATT, defensive end (DE) des Houston Texans, accède au titre honorifique de défenseur le plus dominant de la NFL. Cette saison, il semble avoir encore élevé le niveau. À tel point que son nom revient régulièrement dans la course au MVP. Depuis la création de ce trophée en 1938, uniquement deux défenseurs reçoivent cet honneur : Alan PAGE, defensive tackle (DT) des Minnesota Vikings en 1971, et Lawrence TAYLOR, outside linebacker (OLB) des New York Giants en 1986. Mike SINGLETARY en 1985, Wilber MARSHALL en 1986, Reggie WHITE en 1987, Bruce SMITH en 1990, Ray LEWIS en 2000, Derrick BROOKS en 2002, Darrelle REVIS en 2009… État des lieux non exhaustif à partir des années 80 de ces rois privés de couronne.

 

 

Les adeptes de football défensif ne peuvent que se réjouir qu'un défenseur comme J.J. WATT attire autant l'attention de ce côté du ballon, dans une ligue qui n'en a plus que pour les quarterbacks (QB) et les wide receivers (WR). En revanche, la hype ambiante paraît légèrement disproportionnée. Dans le sens où, oui il est dominant comme peu de défenseurs avant lui, mais justement il n'est pas le seul à avoir dominé ainsi. Seulement, ses prédécesseurs n'ont pas forcément eu la reconnaissance, le crédit et/ou l'attention qu'ils méritaient en matière de MVP.

 

MIKE SINGLETARY, MLB, CHICAGO BEARS, 1985

En 1985, Mike SINGLETARY, middle linebacker (MLB) des Chicago Bears, dirige sans doute la défense la plus intimidante de l’histoire de la NFL. Une escouade exceptionnelle qui permet à la franchise de l’Illinois de remporter son seul et unique Super Bowl. Les Bears atteignent le rare bilan de 15-1 en saison régulière, seulement le deuxième (et à ce jour l’un des cinq) depuis 1978 et le passage au calendrier à 16 matchs. Joueur le plus influent au sein d’une défense toujours considérée comme référence, il ne récolte que l’accolade réservée aux défenseurs. Il bénéficie pourtant d’une visibilité non négligeable accordée à une équipe chargée de personnages tous plus charismatiques les uns que les autres (Walter PAYTON, Mike DITKA, Wilber MARSHALL, William « The Fridge » PERRY, Jim McMAHON, Richard DENT…). Visibilité renforcée par le mythique « Super Bowl Shuffle », tube rap phénomène enregistré par plusieurs joueurs trois mois avant le Super Bowl. Sa défense détruit toutes les attaques qu'elle rencontre (à l'exception des Dolphins de Dan MARINO), y compris en playoffs. Marcus ALLEN, running backRunning Back (RB)
Terme générique qui englobe les HB et les FBFullback (FB)
coureur puissant et polyvalent. Il joue le rôle de bloqueur, de receveur et de bulldozer balle en main. Constitue avec les halfbacks (HB), les running backs (RB).
.
(RB) des Los Angeles Raiders, décroche malgré tout la timbale. Finalement, le côté barbare des Monsters of the Midway dessert peut-être l’emblématique numéro 50 plus qu’autre chose.

 

WILBER MARSHALL, OLB, CHICAGO BEARS, 1986

Wilber MARSHALL, sur le poste d'OLB, évolue dans l'ombre de Lawrence TAYLOR en 1986, en dépit d'une défense qui bat le record du nombre de points concédés (187) sur une saison à 16 matchs. Surtout, ces Bears perpétuent une domination défensive entamée en 1984 par le record de sacks (avec 72 et toujours d’actualité) et de yards autorisés (avec 3863 et actuellement 4ème meilleur total), qui se prolonge jusqu'en 1988. De plus, Chicago enchaîne un 15-1 en 1985 et un 14-2 en 1986, du jamais vu ni revu. Lawrence TAYLOR est majoritairement plébiscité pour ses aptitudes incomparables de pass rusher, Wilber MARSHALL est partout sur le terrain : 105 plaquages, 5.5 sacks, 5 interceptionsInterception
passe du QBQuarterback
c'est le stratège de l'équipe. Il décide des tactiques avec ses coachs. Il est chargé de transmettre la balle à ses coureurs et de distiller les passes à ses receveurs.
rattrapée par un défenseur (un adversaire).
retournées pour 68 yards et 1 touchdown, 4 fumbles forcés, 3 fumbles recouverts retournés pour 12 yards et 1 touchdown. Joueur le plus craint au sein de l’unité la plus terrorisante, ses performances élèvent la défense des Bears au rang numéro un en termes de points et yards encaissés pour la deuxième saison consécutive.

 

REGGIE WHITE, DE, PHILADELPHIA EAGLES, 1987

1987 suscite la plus grosse interrogation. Au terme d'une saison où les titulaires ne disputent que 12 matchs (lock out oblige), John ELWAY, QB des Denver Broncos, est désigné MVP avec 19 touchdowns (8ème meilleur total) pour 12 interceptions (13ème pire total), 54.6 % de complétions (19ème meilleur pourcentage parmi les titulaires) et 3198 yards (4ème meilleur total). Reggie WHITE, DE des Philadelphia Eagles, c'est 21 sacksSack
plaquage du QB dernière la ligne de scrimmage (perte de terrain).
. 21 SACKS EN 12 MATCHS ! Pour apprécier ce chiffre à sa juste valeur, il faut savoir que le record de l’époque est détenu par Mark GASTINEAU, DE des New York Jets, avec 22 en 1984. Depuis 2001, il appartient à Michael STRAHAN, DE des New York Giants, avec 22.5. Dans les deux cas, il s’agit d’exercices à 16 matchs. À ce jour, la marque de WHITE trône toujours au 4ème rang des saisons les plus prolifiques. À ce total démentiel s’additionnent par ailleurs 76 plaquages, 4 fumbles forcés, 1 fumble recouvert et retourné pour 1 touchdown de 70 yards.

 

BRUCE SMITH, DE, BUFFALO BILLS, 1990

L’un des aspects les plus marquants chez les performances de J.J. WATT concerne sa domination pour un DE évoluant dans un système 3-43-4
formation défensive avec 3 linemenLinemen
littéralement, les hommes de la ligne (de scrimmage). Il y a les linemen offensifs et les défensifs. Ils s'opposent dès le snapSnap
signal de départ de l'action, quand le centre transmet la balle au QB.
donné.
et 4 linebackers.
. En 1990, Bruce SMITH des Buffalo Bills montre déjà la voie. Il réalise une saison à 101 plaquages, 19 sacks, 4 fumbles forcés, le tout pour un DE de 3-4 donc. Cependant, il pâtit de l'ère des « Quatre Fantastiques » à San Francisco (Joe MONTANA, Jerry RICE, Roger CRAIG, Ronnie LOTT). Ces 49ers, en lice pour un triplé historique, sont alors une franchise plus flashy et plus glamour que les Bills. Joe MONTANA met donc la main sur son deuxième trophée de MVP consécutif. Cela se défend : ils finissent à 14-2 pour la deuxième fois d’affilée ; sans être forcément indiscutable : l’attaque termine 8ème aux points, MONTANA lance 26 touchdowns (3ème meilleur total) pour 16 interceptions (7ème pire total), complète 61.7 % de passes (3ème meilleur pourcentage chez les titulaires) et engrange 3944 yards (3ème meilleur total).

 

RAY LEWIS, MLB, BALTIMORE RAVENS, 2000

En 2000, Ray LEWIS, MLB des Baltimore Ravens, paye sûrement ses déboires hors terrain. Parallèlement, Marshall FAULK et le Greatest Show On Turf continuent leur carnage offensif de 1999. Le RB à tout faire des St. Louis Rams s’adjuge le sésame en établissant le nouveau record de touchdowns inscrits sur une saison avec 26 (marque surpassée à trois reprises : en 2003, 2005 puis 2006). De leur côté, les Ravens battent deux records collectifs qui tiennent toujours et ne tomberont probablement jamais : nombre de points (165) et de yards au sol (970) concédés sur une saison de 16 matchs. En outre, les troupes de LEWIS emmènent jusqu’au titre une attaque indigente. Ses statistiques ne sont a priori pas extraordinaires : 137 plaquages, 3 sacks, 2 interceptions retournées pour 1 yard, 3 fumbles recouverts. Mais sa défense multiplie comme jamais les « 3&outs », réduisant ainsi les opportunités de gonfler davantage les statistiques personnelles. À ce jour, l'exercice de LEWIS est toujours considéré comme la référence pour un MLB. D’avis personnel, sa saison 2003 se situe visuellement encore un cran au-dessus. En compagnie des Bears 1985 (et pas assez souvent des Buccaneers 2002), la défense des Ravens 2000 est régulièrement citée dans les conversations relatives à la meilleure de tous les temps.

 

DERRICK BROOKS, OLB, TAMPA BAY BUCCANEERS, 2002

En 2002, la campagne de Rich GANNON, QB des Oakland Raiders, est solide : 26 touchdowns (5ème meilleur total) pour 10 interceptions (21ème pire total), 67.6 % de complétions (2ème meilleur total parmi les titulaires) et 4689 yards (meilleur total). Mais Derrick BROOKS, OLB des Tampa Bay Buccaneers, est le meilleur joueur de la meilleure défense contre la passe de l’ère moderne. L’escouade domine la ligue aux points (196, la dernière sous les 200) et yards accordés. Il pose 117 plaquages, 1 sack, 5 interceptions retournées pour 203 yards et 2 touchdowns, une passe latérale reçue suite à une interception retournée pour 15 yards et 1 touchdown, 11 passes défendues, 1 fumble forcé, 1 fumble recouvert retourné pour 11 yards et 1 touchdown. N’en jetez plus ! J.J. WATT a pour l’instant inscrit 4 touchdowns dont 2 offensifs ; Derrick BROOKS en inscrit 4 également, tous défensifs (auxquels s’ajoutent 1 rappelé pour un hors-jeu discutable d’un partenaire en semaine 14 contre les Falcons, et 1 qui scelle la victoire au Super Bowl). À l’image des Ravens 2000, sa défense porte le poids de l’équipe et emmène une attaque extrêmement limitée au titre suprême. Les Buccaneers 2002 entrent dans le cercle très fermé des plus grosses défenses de l’histoire de la NFL à remporter le Graal, aux côtés des Bears 1985, des Ravens 2000 (puis des Seahawks 2013). Malheureusement pour le numéro 55, les floridiens reçoivent peu de crédit. Autrefois franchise de la loose, ils peinent à se détacher de cette image, malgré la constance et l'excellence défensive affichées depuis 1997 grâce à la célèbre Tampa 2.

 

DARRELLE REVIS, CB, NEW YORK JETS, 2009

Darrelle REVIS des New York Jets en 2009, ce n'est ni plus ni moins que la saison référence en matière de shutdown corner en homme à homme. Toutes les performances de CB sont comparées à ce standard depuis. Semaine après semaine, il éteint les WRs stars adverses. À son tableau de chasse en particulier : Andre JOHNSON (Houston Texans), Randy MOSS (New England Patriots), Marques COLSTON (New Orleans Saints), Terrell OWENS (Buffalo Bills), Steve SMITH (Carolina Panthers), Roddy WHITE (Atlanta Falcons), Reggie WAYNE (Indianapolis Colts) ou encore Chad JOHNSON (Cincinnati Bengals). Aussi étonnant que cela puisse paraître, il n'est pas désigné défenseur de l'année, au détriment de Charles WOODSON, autre CB des Green Bay Packers. Dans l'absolu, ce dernier ne vole pas ses lauriers. En revanche, il ne peut pas se vanter d'être l'instrument majeur de la meilleure défense aux points et en yards de la ligue. Ces Jets 2009 sont même la 12ème meilleure défense en yards depuis 1978. D'autant plus impressionnant étant donné l'environnement propice à l’orgie offensive dans lequel elle évolue. Cette unité porte d’ailleurs une attaque médiocre et une équipe à 9-7 jusqu'au AFC Championship. Autre bizarrerie : Peyton MANNING est sacré MVP alors que Drew BREES affiche de meilleurs chiffres que lui dans quasiment toutes les catégories statistiques.

 

UN DÉSAMOUR COMPRÉHENSIBLE… BIEN QU’ILLÉGITIME

D'une manière générale, la défense et les défenseurs sont dévalués en majeure partie depuis la fin de la saison 1977. À l'issue de cet exercice, les défenses sont tellement dominantes et les attaques tellement impuissantes que la ligue légifère pour inverser le rapport de force. La transition avec la saison 1978 marque la fin de la « Dead Ball Era » (période régit par les petits scores et les défenses étouffantes), et le début de la lente prise de pouvoir des attaques. Avec tous les efforts consentis par la ligue pour augmenter le scoring, créditer ceux dont le rôle consiste à l’empêcher relève de la contradiction. La seule exception à la règle étant Lawrence TAYLOR en 1986. Son impact sur le jeu est tel que le récompenser apparaît presque incontournable. Dommage pour le reste car comme évoqué plus tôt, d'autres défenseurs ont réalisé des saisons au moins aussi dominantes. Ils n'ont peut-être pas autant révolutionné la NFL que lui, mais ont contribué à la définition de nouveaux standards : de MLB 4-34-3
formation défensive avec 4 linemen et 3 linebackers.
blitzeur et pas forcément assassin sur les plaquages pour SINGLETARY, d’OLB 4-3 redoutable près de la ligne de scrimmage (blitz + contre la course) pour MARSHALL, de DE 4-3 dominant pour WHITE, de DE 3-4 dominant pour SMITH, de MLB 4-3 (2000) et 3-4 (2003) en mode QB de la défense pour LEWIS, d’OLB 4-3 de couverture pour BROOKS, de shutdown corner en homme à homme pour REVIS.

 

 

Au royaume de la NFL, nombreux sont les princes défensifs à s’être succédés. Nombreux sont ceux à avoir accédé au trône après s’être élevés au rang de roi ; infimes sont toutefois ceux ayant connu la joie du couronnement. Dans sa longue et riche histoire, la grande ligue connaît maints défenseurs dominants, emblématiques, charismatiques, formidables et incontournables. Néanmoins, le palmarès de la plus haute distinction individuelle ne reflète pas cet état de fait. Les années 70 constituent l’Âge d’Or de la défense. Cette décennie consacre parmi les escouades les plus terrifiantes et dominantes de l’histoire. Purple People Eaters, Doomsday, Steel Curtain, No-Name, Fearsome Foursome, Orange CrushGritz Blitz, soit autant d’unités légendaires passées à la postérité et dont les membres éminents, à l’exception d’Alan PAGE, se voient boudés. Même constat depuis pour les fameux Monsters of the Midway, Gang Green, Dome Patrol, Tampa 2, ou encore Steel Curtain 2. Le trop faible nombre de défenseurs gratifiés du titre de MVP interpelle. Les attaquants sont récompensés unanimement lorsque individuellement ou collectivement ils approchent ou battent des records, pourquoi n’en serait-il pas de même pour leurs homologues ? Ce favoritisme apparaît injuste, surtout quand les défenseurs réalisent des saisons exceptionnelles, qui plus est au sein de groupes qui battent des records : de points (Bears 1963, Vikings 1969, Falcons 1977, Bears 1986, Ravens 2000) ou de catégories statistiques (sacks pour les Bears 1984 ; yards pour les Rams 1968, Vikings 1969, Bears 1984, Eagles 1991 ; yards au sol pour les Ravens 2000). Dans un sport hyper collectif comme le football américain, où l’attaque ne peut gagner sans sa défense et vice versa, comment dès lors accepter les accolades à sens unique et négliger la combinaison défensive ultime : performance individuelle au service de la performance collective ?

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 On ne naît pas leader, on le devient. On le devient au prix d'un dur travail, comme pour chaque chose obtenue dans la vie.  – Vince Lombardi

En VO :  Leaders aren't born, they are made. And they are made just like anything else, through hard work. 

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