Entretien avec Jean Baptiste LaportePhysiothérapeute de Team Canada

Jean-Baptiste Laporte, Physio de Team Canada
Jean-Baptiste Laporte, Physio de Team Canada
le 18/07/2011 à 11:39 par Thomas Depaepe

Durant la Coupe du Monde, nous avons eu le plaisir de rencontrer et d’échanger avec Jean-Baptiste Laporte qui est physiotherapeute (masso-kinésithérapeute)  et thérapeute  du sport de l’équipe nationale du Canada… mais qui est aussi un expatrié français sur les terres à la feuille d'érable.

Etant de formation double (européenne à l'origine et maintenant principalement nord-américaine), son regard sur la question de l’intégrité physique des joueurs et l’aspect médical dans le staff d’une équipe, nous a semblé très interessant ; d'autant plus que la question des traumatismes et des commotions cérébrales devient centrale dans notre sport et en NFL.

 

FootballAmericain.com : Pour commencer, peux-tu nous retracer ton parcours ?

Jean-Baptiste Laporte. : J’ai fait des études de kiné en Belgique car à l’époque les écoles étaient plus renommées de ce côté de la frontière. J’y ai obtenu un Baccalauréat et Master en masso-kinésithérapie que j’ai terminé en 2002 ; ensuite j’ai travaillé pendant un an et demi en France avant d’atterir à Montréal le 1er janvier 2004, au milieu de la neige et de l’hiver canadien, pour faire un Baccalauréat puis un Master en thérapie du sport à l’université Concordia. Il faut bien voir qu’en Amérique du Nord, on sépare la kinésithérapie classique de la thérapie adaptée aux sportifs ; ces nouvelles études étaient donc un moyen de me spécialiser et de me rapprocher de mon objectif qui était d’être thérapeute auprès des footballeurs américains de haut niveau.

Aujourd’hui, je donne des cours à l’université anglophone Concordia (Montréal) en thérapie du sport. J’ai une pratique privée à côté qui me permet de travailler avec des athlètes de tous les sports puisque je traîte les footballeurs américains, principalement,  mais aussi des hockeyeurs, des joueurs de soccer et je suis impliqué depuis peu avec les danseurs professionels. Enfin je suis en charge du médical au niveau de Football Québec et de Football Canada depuis 2007.

 

FA.com : Ton « objectif » c’était de te rapprocher du foot us, ce n’est pas commun de notre côté de l’Atlantique…

J-B.L. : J’ai joué au foot US aux Anges Bleus, aux Spartacus puis au Team Paris donc c’était un milieu que j’aimais. En 2001-2002, lorsque je suis arrivé à la fin de mes études de kiné, j’écris donc à toutes les équipes de NFL Europe en pensant que leurs portes me seraient grandes ouvertes : évidemment, il n’y en a aucune qui me répond… sauf une : les Francfort Galaxy. La thérapeute du sport en chef de l’équipe me dit « okay » mais les dirigeants ont réalisé que je n’avais pas le diplôme nécessaire, ce qu’ils appellent « Athletic Trainning » aux USA. Ils m’expliquent alors les formations que je dois faire et ils m’envoient un lien vers un site présentant les formations outre-Atlantique. Sur ce site, j’ai trouvé la formation dispensée à Concordia (Québec) et j’ai donc décidé de m’inscrire pour obtenir le diplôme canadien qui m’a permis dans un second temps, d’obtenir la certification américaine. Mon diplôme en poche, je recontacte cette thérapeute en chef de Francfort mais c’était la fin de la NFL-Europe… j’ai compris à ce moment que mon voyage vers mon but, la NFL, serait long et tres difficile.

 

FA.com : Je crois que tu as failli être pris en NFL cette saison ?

J-B.L. : J’envois des CV à toutes les équipes NFL depuis 2008 donc, et cette année j’ai été contacté par les Carolina Panthers… mais avec le lockout, c’est tombé à l’eau car ils n’ont pas voulu s’embarquer « dans un processus de recrutement international ». Avec le lockout en cours, bien que j’aie depuis peu la nationalité canadienne, il me faut un visa de travail pour exercer en NFL.

J’ai été néanmoins invité par les Panthers car ils voulaient malgré tout me rencontrer. J’ai donc passé du temps avec eux début mai. Le thérapeute en chef, Ryan Vermillion et son staff m’ont reçu comme de vrais professionnels et m’ont accordé temps et moyen en me donnant accès aux infrastructures et matériel habituellement très secret des équipes NFL. Nous avons longuement échangés sur la prise en charge des footballeurs élites.

Concernant une position médicale dans la NFL, il faut comprendre que les Américains disposent d’un énorme vivier de thérapeutes qui ont le même diplôme que moi et ils ne sont pas habitués à faire des papiers et des demandes de visa pour des gens comme moi. Dès l’an prochain, je relancerai toutes les équipes pour me faire ma place en NFL.

(Thomas Depaepe)
 

FA.com : Et comment on se retrouve français au cœur du staff canadien ?

J-B.L. : C’est dans un premier temps par volonté, motivation et bien sûr grâce à un travail acharné. Il faut faire ses preuves ! Ensuite par référence, par cooptation du coaching staff… Le milieu du football est un petit milieu : le Québec, qui est une province phare dans ce sport, est encore un plus petit milieu où tout le monde se connaît. Les coachs m’ont donc invité à venir avec eux et c’est avec plaisir que j’ai accepté. J’étais déjà en charge des juniors en 2009.

En plus, jouer la Coupe du Monde sous la direction de Larry Haylor (NDLR : Head Coach de Team Canada) est un vrai plaisir : c’est le coach avec le meilleur rating de victoires en universitaire (178 victoires pour 47 défaites) et il a déjà remporté énormément de titres… mais surtout c’est une personne très accessible qui prend du temps pour tout le monde et accorde énormément d’importance au bien être et au bon fonctionnement de son staff médical. En deux mots : un grand professionnel.

 

FA.com : Quelles sont les différences entre les joueurs d’Amérique du Nord et les Européens ?

J-B.L. : En Amérique du Nord, les joueurs commencent très jeunes et on leur inculque très vite une hygiène et des habitudes de vie beaucoup plus strictes qu’en France. En plus, ils ont une importante préparation physique qui s’accompagne d’un très gros suivi sur le plan médical. Donc ils supportent mieux la compétition…et puis il ne faut pas se le cacher, les moyens ne sont pas les mêmes. Pour nous therapeutes, les conditions de travail sont plus agréables et nous avons accès à du matériel et des formations de haut niveau. Le résultat, c’est que pour aborder la finale on avait 44 des 45 joueurs qui étaient à 100%.

 

FA.com : Plus précisement, qu’est-ce que cela change d’être kiné en France et être kiné/therapeute du sport au Canada ?

J-B.L. : Les nords-américains séparent tout : il y a les kinés classiques, les kinés du sport (thérapeutes du sport), les masso-thérapeutes, les osthéopathes, des chiropracteurs… alors qu’en France les kinés font tout. Cette division du travail a cet avantage que chacun est très spécialisé et connaît des techniques de pointe pour accompagner au mieux les athlètes. Il n’est pas étonnant de voir des thérapeutes du sport nord-américain qui ne savent pas masser, mais cela ne pose pas de problème car un joueur est pris en charge par tout un staff médical qui dispose de profils complémentaires.

 

FA.com : Dans un milieu aussi concurrentiel que le football américain, comment peut on se faire remarquer ?

J-B.L. : Comme je l‘ai mentionné plus tôt Il faut insister, envoyer sans cesse des CV, contacter les clubs pour proposer ses services et travailler dur… surtout lorsque l’on immigre d’un autre pays. Et souvent les temps sont durs.

Courage, travail et perséverance ! Mais même si les nord-américains aiment la persévérance, cela ne suffit pas : il faut aussi se recycler sans cesse et passer de nombreuses certifications.  Etre certifiés par des grandes associations spécialisées comme la NATA, CATA (thérapie du sport) et la NSCA (préparation physique) est le minimum afin d’evoluer au sein de grandes equipes. Les examens de passage sont très rigoureux.

Par la suite il est essentiel de continuer à se former via « l’Education Continue Specialisée » : thérapie manuelle, rééducation et préparation fonctionelle, techniques musculaires, strapping…. En Europe, certains kinés n’ont pas suivi de formations depuis des années (ceci est en train de changer depuis 2- 3 ans et c’est tant mieux), alors que là-bas, pour rester thérapeute du sport certifié, il faut sans cesse se remettre en question et intégrer de nouvelles techniques, de nouveaux gestes. Nous devons en gros suivre une minimum de 2 cours par année pour maintenir notre droit d’exercer.

 

FA.com : Comment vit-on un match lorsque l’on est physio ?

J-B.L. : On ne regarde pas vraiment le match car on a beaucoup à faire… on entend de temps en temps les supporters réagir, ce qui nous permet de suivre, mais sinon on est surtout focalisé sur la santé des joueurs qui est notre première préoccupation. Par exemple, lorsqu’un joueur adverse intercepte le cuir, on ne le suit pas du regard pour savoir s’il va au TD ou pas… on suit d’abord les autres joueurs qui sont derrière lui pour voir si aucun ne reste au sol ou ne se prend pas un bloc dit « aveugle » (car le joueur ne le voit pas arriver), ou en anglais « blind side » , qui souvent est porté à grand vitesse et qui plus est fréquement à la tête…

En tant que membre de l’équipe médicale, on se doit d’être tout le temps prêt à intervenir car on sait que c’est un sport dangereux et qu’il faut être sans cesse sur le qui-vive. Dans 99% des cas, notre intervention va être sur un bobo ou une blessure simple. Mais au cas où, on doit toujours penser au 1% qui peut conduire à une blessure très grave. Pour ce 1%, on va travailler énormément et répéter sans cesse les procédures d’intervention suivant le degré de gravité et la position où le joueur est tombé sur le terrain. À titre d’exemple, nous nous entrainons à démonter toutes les grilles de casques en moins de 30 secondes et à découper maillot/ouvrir épaulières en 60 secondes car chaque minute qui passe, c’est 10% de chance en moins pour sauver un gars qui serait en arrêt cardiaque, il faut appliquer le défibrillateur et de débuter le RCP le plus tôt possible. Comme chaque équipementier à son système d’attache, on se promène toujours avec tous les outils et on apprend par cœur qui porte quel casque ou épaulière… et surtout on répète encore et encore les interventions afin que chacun sache exactement ce qu’il doit faire, dans quel ordre… Il n’y a pas de place pour l’improvisation : chaque membre du personnel médical connaît sa position sur chaque type d’intervention. La certification avancée de premier intervenant d’urgence en milieu sportif doit se renouveler chaque année.

En plus, on travaille aussi avec les joueurs pour qu’ils ne fassent pas un geste déplacé comme relever ou bouger un joueur resté au sol alors après un choc et qui peut donc être victime d’une commotion cérébrale ou trauma médullaire .

JB Laporte s'occupe de l'un des joueurs canadien
JB Laporte s'occupe de l'un des joueurs canadien
 

FA.com : Justement la commotion cérébrale est devenue un des points de vigilance de la NFL et en Amérique du Nord…

J-B.L. : Tout à fait, et c’est à raison ! Quand je suis arrivé au Canada, cela commençait à évoluer : on disait déjà à un joueur qu’il ne pouvait pas repartir sur le terrain après une commotion. Par contre, on ne le suivait pas autant qu’aujourd’hui. J’ai connu l’époque où un gars revenait 15 minutes après le choc sur le terrain s’il n’avait pas de nausées ou de signes cliniques… Aujourd’hui en Amérique du Nord, cela n’est même plus envisageable et cela est très bien.  J’assiste régulèrement aux conférences et consensus rassemblant les experts dans le domaine comme dernièrement à l’univeristé de Caroline du Nord (UNC), considérée comme leader sur la recherche et conduite à tenir concernant les traumatismes cérébraux. UNC travaille en accord étroit avec la NFL, MLS ou encore la NHL.

Concrètement, on dispose de tests (informatiques et papiers) que l’on fait passer à tous les joueurs avant la saison : c’est leur base en terme de temps de réflexe par exemple. Après chaque commotion potentielle, on leur refait passer un test similaire pour voir s’ils ont des retards de réflexe ou pas. Il faut bien comprendre qu’il n’y a pas de lésions structurelles visibles dans une commotion « simple », qui reste néanmoins classifiée comme traumatisme cérébral, il s’agit de lésions fonctionnelles, donc c’est vraiment les facteurs cognitifs et les temps de réactions qu’il faut prendre en compte. Après ces tests et une batterie d’analyses, seul un médecin peut dire à un joueur : « Tu peux maintenant rejouer. » Cela peut durer des périodes très variables en terme de jours/semaines. Mais l’intégrité des joueurs est à ce prix ! J’ajouterais que le staff medical garde sous observation un joueur commotionné afin de déterminer si il ne développe pas une hémorragie cérébrale retardée. Les hémorragies sous-durales étant les plus « vicieuses » puisque le patient peut détériorer lentement (sur plusieurs jours). Les hémorragies épi-durales sont plus fulgurantes, en terme de minutes/heures, et l’état de santé du patient se détériore alors sur le banc de touche. Tous ces cas représentent des urgences vitales. Les staff médicaux sont bien entendu formés pour détecter chaque symptomatologie.

Pour finir, il n’y a aucun traitement de la commotion cérébrale, (Les nord américains questionnent beaucoup l’effet de « l’éponge magique » que l’on voit si souvent sur les terrains européens ), seul le repos et l’arrêt immédiat du sport sont requis. La reprise est progressive. Seul la prévention, l’éducation et la rigueur dès règles du sport (sanction des chocs portés à la tête de l’adversaire ou évolution actuelle des régles en NFL), modifieront l’incidence des trauma crâniens.

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 Hier, j'étais un quarterback noir qui se trouvait être un bon quaterback. Aujourd'hui, je suis un bon quarterback qui se trouve être noir.  – Doug Williams, QB des Redskins, le lendemain de sa victoire lors du Super Bowl XXII.

En VO :  Yesterday, I was a black quarterback who happens to be good. Today, I'm a good quarterback who happens to be black. 

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